Nous avons rencontré Pascale Mathieu, Présidente du Conseil National de l’Ordre des Kinésithérapeutes, qui nous éclaire sur la différence entre kiné et ostéo et sur les besoins du bébé et d'une jeune maman, pour mieux comprendre qui et quand consulter.
1- Bonjour Pascale Mathieu, pouvez-vous vous présenter?
Bonjour, je suis kinésithérapeute et j’ai exercé dans divers établissements de santé, au CHU de Bordeaux, et en centre de rééducation fonctionnelle puis ai embrassé une carrière libérale depuis 1990 dans le Sud-Gironde après avoir eu un cabinet à Bordeaux.
Je suis Présidente d’une association européenne d’autorités compétentes de professions de santé mais aussi Présidente du Conseil National de l’Ordre des Kinésithérapeutes depuis 2014, après avoir été Secrétaire Générale depuis 2011.
Ces diverses fonctions me permettent d’avoir une vision assez large de notre système de santé, et pas uniquement par le prisme de ma profession.
Je suis très attachée à la démarche scientifique et à la rationalité. Nous, professionnels de santé, devons agir en nous appuyant sur les dernières avancées de la recherche scientifique pour proposer à ceux qui nous font confiance les meilleurs soins possibles.
Pour la partie personnelle, je suis maman de 3 enfants.
2- Pourriez-vous nous parler de la différence entre un kiné et un ostéo?
Seuls les kinésithérapeutes sont des professionnels de santé. Ils font cinq années d’études universitaires sanctionnées par un diplôme d’Etat leur conférant un grade Master. Ce sont des acteurs majeurs du système de santé, professionnels du premier recours, qui travaillent avec les autres professionnels que sont les médecins, infirmiers, pharmaciens, sages-femmes notamment.
Leur domaine de compétence est si large que le grand public n’a pas forcément conscience de l’intégralité des possibilités de prises en charge qu’ils peuvent effectuer.
Les kinésithérapeutes sont les spécialistes du mouvement. Notre profession est née après les diverses guerres qui ont vu revenir des blessés qu’il fallait tenter de remettre sur pied, ou à qui il fallait apprendre à vivre avec un handicap en retrouvant le plus d’autonomie possible.
Nous sommes des rééducateurs. Nous avons pour mission de prévenir l’apparition de troubles du mouvement et de la motricité, et lorsqu’ils sont présents, d’y remédier, de les compenser, ou d’apprendre à s’adapter quand une récupération est impossible.
Bien sûr nous traitons les douleurs qui sont un grand motif de consultation, mais surtout nous agissons dans de nombreux domaines.
Si vous avez une maladie neurologique (Sclérose en plaque, séquelles d’AVC, maladie de Parkinson…) une maladie évolutive rhumatismale, des séquelles d’un accident (paralysie, amputation, fractures, brulures graves…), une incontinence urinaire, un handicap moteur avec ou sans troubles cognitifs, une maladie respiratoire aiguë ou chronique, un cancer, que vous êtes âgé et susceptible de devenir dépendant, le recours au kinésithérapeute est indispensable pour prendre en charge au mieux tout cela.
La kinésithérapie, ce n’est pas seulement la prise en charge de la douleur du dos ou de l’entorse de la cheville. Car traiter une douleur ou un symptôme n’a aucun intérêt ni on ne met pas en œuvre un programme de rééducation permettant l’absence de récidive de cette douleur ou de ce symptôme. Et cela, seul le kinésithérapeute est habilité à le faire.
L’ostéopathie est reconnue France depuis 2002. Seules les manipulations externes des muscles et des articulations sont autorisées. Ils ne sont pas autorisés par exemple à faire de manipulation intra buccale, ou avec une pénétration vaginale ou anale. Il faut également savoir qu'il existe des accidents médicaux liés aux manipulations, notamment des vertèbres. Ce ne sont pas des actes anodins, et chaque année des accidents sont répertoriés laissant parfois de très lourdes séquelles, certains ostéopathes ont d’ailleurs abandonné les manipulations des vertèbres cervicales, la balance bénéfice-risque n’étant pas en faveur de ce type de pratique qui peut provoquer des accidents vasculaires cérébraux qui semblent sous-déclarés.
A noter qu’historiquement certains kinésithérapeutes étaient ostéopathes, ils sont environ 8 000, mais sont de moins en moins nombreux à pratiquer.
La formation d’ostéopathe dure cinq années, réalisées en écoles privées agréées.
3- On dit souvent qu’une jeune accouchée et son bébé doivent aller voir un ostéopathe, est-ce vraiment utile ?
Je suis extrêmement préoccupée par cette mode qui ne repose sur aucun argument.
Précisons d’abord le cadre d’intervention des ostéopathes, régi par un décret qui explique « Les praticiens justifiant d'un titre d'ostéopathe sont autorisés à pratiquer des manipulations ayant pour seul but de prévenir ou de remédier à des troubles fonctionnels du corps humain, à l'exclusion des pathologies organiques qui nécessitent une intervention thérapeutique, médicale, chirurgicale, médicamenteuse ou par agents physiques. Ces manipulations sont musculo-squelettiques et myo-fasciales, exclusivement manuelles et externes. Ils ne peuvent agir lorsqu'il existe des symptômes justifiant des examens paracliniques.
Pour la prise en charge de ces troubles fonctionnels, l'ostéopathe effectue des actes de manipulations et mobilisations non instrumentales, directes et indirectes, non forcées, dans le respect des recommandations de bonnes pratiques établies par la Haute Autorité de Santé. »
Plus loin on lit que l’intervention n’est possible chez l’enfant de moins de six mois qu’ « après un diagnostic établi par un médecin attestant l'absence de contre-indication médicale à l'ostéopathie ».
Si l'enfant va bien, il n'y a pas d'utilité de consulter un ostéopathe. On peut consulter un médecin, pédiatre, ou une puéricultrice, voire une sage-femme pour s'assurer du bon développement de son enfant.
Si l’enfant a un problème de santé, par exemple en cas de plagiocéphalie, torticolis congénital, ou déformation du pied, le médecin orientera vers le kinésithérapeute pour des soins pris en charge par l’assurance maladie et réalisés dans des conditions optimales de sécurité.
Ainsi, le recours à l'ostéopathe, malheureusement trop souvent conseillé par des professionnels de santé, ne repose sur aucun fondement car aucune étude scientifique sérieuse ne démontre un quelconque bénéfice à ce type de prise en charge.
D'ailleurs les techniques d’ostéopathie viscérale et crânienne ne font pas partie de la formation initiale des ostéopathes, et pour cause, elles sont non fondées et ne reposent pas sur des bases scientifiques solides (2).
Quant aux jeunes accouchées, elles nécessiteront une rééducation du plancher pelvien, parfois de la sangle abdominale, peut-être du rachis s’il persiste des douleurs du dos. Tout cela est dispensé par des professionnels de santé, selon des approches ayant fait preuve d’efficacité. Les manipulations n'ont ici pas leur place, les allégations du bassin décalé ou de vertèbres déplacées ne reposent sur rien de sérieux.
4- Quelles seraient vos recommandations aux futurs et jeunes parents ? (Dangers, risques à éviter, précautions à prendre)
Rien ne justifie à mes yeux le recours à un ostéopathe, rien ne justifie de consulter pour des phénomènes normaux et physiologiques. Un bébé pleure, il a souvent un reflux, des douleurs digestives, des coliques, il se réveille la nuit, et en effet il est parfois difficile de décrypter la nature de ses pleurs : faim, douleur, inconfort ? Les jeunes parents sont souvent désarmés devant des comportements qu’ils ne comprennent pas. Ils ont à cœur de bien faire. J’ai envie de leur dire : un enfant en bonne santé se développe harmonieusement grâce à votre amour, les soins que vous lui donnerez, le fait de le prendre dans les bras. Faites-lui confiance et faites-vous confiance. A chaque symptôme ne correspond pas une prise en charge. S’il est malade, il sera suivi par un médecin généraliste ou pédiatre.
Réf.
(1) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000462001
(2) Cf les deux rapports du Cortecs
https://www.ordremk.fr/wp-content/uploads/2016/01/CorteX-CNOMK_osteo_cranienne_Janvier2016.pdf
https://www.ordremk.fr/wp-content/uploads/2018/03/rapport-cortecs-osteopathie-viscerale-24-02-2017.pS