Julie, Présidente de l'association ADN Kids !

Pouvez-vous vous présenter Julie ?

Je m’appelle Julie Crouzillac, j’ai 37 ans, je suis chef d’entreprise. Après presque dix années passées dans les multinationales de l’agro-alimentaire, j’ai choisi d’emprunter les chemins de l’entreprenariat : en 2015, j’ai créé Dreammaker, une agence de design ; en 2017, j’ai co-créée Les Pionnières avec Lucille Colomer, une marque dédiée aux femmes. En parallèle, en 2016, j’ai co-fondé avec Laurent Combalbert et Marwan Mery, l’association ADN Kids ! dont j’ai la présidence depuis. Notre action consiste à former gratuitement les enfants dans les écoles à la négociation pour les aider à lutter contre la violence et le harcèlement. Cette année, pour la première fois, je suis membre du jury du Prix Média Enfance Majuscule.

J’ai trois enfants âgés de 12 ans à 15 mois et je vis à Paris.

Parlez-nous d’ADN Kids !

ADN Kids ! est une association de loi 1901 à but non lucratif. Il s’agit du premier programme de formation et de sensibilisation à la négociation à destination des enfants et des adolescents.

 

Aujourd’hui, grâce aux 200 bénévoles de l’association aussi bien en France et qu’à l’étranger nous intervenons gratuitement dans les écoles pour sensibiliser et former les enfants à la négociation. Derrière le mot « négociation », nous associons un ensemble de compétences dites psycho-sociales telles que l’écoute active, l’empathie, l’assertivité, la gestion des émotions ou encore la capacité à construire un lien. Prendre la parole autour d’ateliers pratiques avec des enfants âgés de 7 à 18 ans nous permet d’avoir une approche pragmatique et valorisante des relations, du conflit et de la notion d’opposition.

 

Après presque cinq années d’existence, nous avons formé un peu plus de 4000 enfants à la négociation, avec une méthode inspirée des pratiques de négociateurs professionnels.  Concrètement, nous intervenons à la demande des écoles, le format (c’est à la durée, le nombre de groupe d’enfants…) est défini avec l’école. Les ateliers sont animés par les bénévoles de l’association que nous appelons les Ambassadeurs ADN Kids !. Ils durent en moyenne trois heures et permettent aux enfants de s’exprimer sur le sujet des émotions (qu’est-ce qu’une émotion, comment est-ce que cela se passe physiologiquement, comment est-ce qu’une émotion se déclenche et surtout comment puis-je gérer mes émotions…), de la notion de règle (l’importance du cadre, la définition du négociable et du non-négociable, les sanctions en cas de transgression de la règle, pourquoi la règle est important pour moi et les autres…), l’importance du questionnement pour bien comprendre une situation (aller au-delà ce que nous croyons comprendre d’une situation à l’instar d’une négociation qui doit se jouer sur les enjeux réels et non les positions affichées), l’assertivité (c’est à dire ma capacité à affirmer mon point de vue en respectant celui de mon interlocuteur) qui sous-tend la notion de confiance en soi (estime de soi, connaissance de soi…). Notre intervention est gratuite car notre modèle repose sur le mécénat.

 

ADN Kids ! porte, avec différents partenaires tels que la ville de paris, l’Institut de l’Engagement ou encore l’association Enfance Majuscule, des programmes encore plus complets pour inscrire notre action dans le temps. Aujourd’hui, l’ambition d’ADN Kids est encore plus grande : parler aux enfants et leurs transmettre des clés pour évoluer sereinement dans un monde interconnecté où tout va plus vite, mais aussi informer, accompagner et conseiller les parents et futurs parents sur le lien qui peut se construire avec leur enfant : un lien de confiance, d’amour, sans permissivité délétère, où chacun joue son rôle. Un équilibre à construire et à nourrir au quotidien pour être plus accompli aussi bien en tant que parent qu’en tant qu’enfant. Et finalement, une vie plus heureuse car plus libre.

 

Vous avez sorti un livre l’an dernier « Petits mais costauds », des conseils d’expert en négociation pour apprendre à négocier avec les enfants afin de vivre sereinement et bâtir une relation constructive tout en leur donnant confiance en eux et dans les adultes. Comment est née l’idée de ce livre? 

Comme bien souvent dans les grands et beaux projets, c’est la rencontre de plusieurs intentions, de plusieurs ambitions qui, combinées au bon moment, font que le projet se concrétise.

Il y a tout d’abord, l’état d’esprit dans lequel nous avons, avec Marwan Mery et Laurent Combalbert, créée ADN kids : une initiative qui devait parler au plus grand nombre pour être utile. C’est pour cela que, dès le départ, nos actions ont été gratuites pour les écoles et les enfants. Notre volonté de transmettre primait.

Il y a ensuite, la réalité : beaucoup d’écoles nous sollicitent. Nous faisons, chaque année, des dizaines d’intervention gratuites à la demande des professionnels de l’éducation (professeurs des écoles, responsables d’animation sur les temps périscolaires, mais aussi éducateurs) qui nous partagent leurs besoins et leurs difficultés quotidiennes face à des enfants dépassés par leurs émotions, dans un rapport au monde et aux autres, violent, brutal et délétère pour ces jeunes êtres. Nous mesurons alors pleinement ce que nous sommes en mesure de leurs apporter : des clés, des outils, une façon de faire différente et pratique.

Enfin, la rencontre et les échanges avec Florence de Rochegonde, éditrice sur ESF : elle a tout de suite compris notre volonté de partager au plus grand nombre, d’être utile, de faire savoir ce que nous avions compris en négociation et sur la relation, et qui s’avérait efficace, non seulement dans le quotidien des petits, mais aussi des parents. Très vite, nous avons été d’accord sur ce que le livre devait apporter : une vision, un nouvel état d’esprit et aussi des angles concrets. Une nouvelle façon d’envisager son rapport à son enfant avec respect, exigence, considération et amour.

Finalement derrière le mot négociation, c’est tout l’état d’esprit des négociateurs que nous mettons en avant : créer du lien, communiquer, écouter, verbaliser, être clair sur les éléments non négociables, mais aussi trouver un sens commun, dépasser les positions, comprendre véritablement les enjeux et surtout, aspirer ensemble à un équilibre et de la sérénité pour vivre un quotidien stimulant, apaisant et donc heureux.

D’où vient le talent de négociateur des enfants?

C’est vrai que souvent les parents nous rapportent les talents de leurs petits quant à la négociation, tiraillés entre fatigue et admiration (sourire). En tant que parent nous l’avons tous expérimenté : nos petits dealent en permanence.

Il y a plusieurs aspects dans cette question et une notion sous-tendue qui est à mon avis capitale dans le lien que nous avons avec nos enfants.

Le premier aspect est que nos enfants osent : ils sont audacieux, créatifs, motivés. Ils tentent donc leur chance car le bénéfice est important pour eux. C’est un comportement qu’il faut, à mon sens encourager et cultiver : ils ne se fixent pas de barrière mentale, ils osent sans interpréter ou répondre à la place de leur interlocuteur. C’est sain dans la mesure où ils nourrissent ainsi leur estime d’eux-mêmes, leur assertivité et leur ambition. C’est un comportement qui permet de cultiver la curiosité, l’ouverture, le désir et l’ambition dans le sens large du terme et qui leur sera utile dans leur vie d’adulte.

 

En revanche, cela ne doit pas faire oublier une notion pri-mor-diale : il y a des choses non négociables !

A l’instar des négociations que mènent les professionnels dans différents domaines (que ce soit la négociation de crise, les négociations commerciales ou diplomatiques…), il y a des aspects, dans la relation parent-enfant et dans le quotidien avec un enfant, qui sont non négociables. C’est déterminant pour la qualité et l’évolution de la relation de les identifier (d’abord soi-même en tant que parent) puis de les verbaliser avec son ou ses enfants et de les partager avec les personnes qui s’occupent des petits (la nounou, la baby-sitter, les grands-parents…). On peut ainsi définir des grands champs tels que la sécurité, l’hygiène, les écrans, le sommeil, l’alimentation qui sont des valeurs cardinales que nous identifions en tant que parent et sur laquelle nous ne transigerons pas.

En identifiant puis en verbalisant ces champs non négociables, on définit le cadre à l’intérieur duquel on évolue dans le quotidien avec son enfant. La règle concrétise ces champs non négociables.

Par exemple, la règle : les écrans ne sont pas autorisés durant la semaine, c’est à dire après l’école et jusqu’au coucher.

Le sens donné à cette règle : l’exposition aux écrans pour de jeunes enfants abime le cerveau (déjà beaucoup sollicité durant la journée par l’école, les activités et le rythme) et en tant que parent, c’est important pour moi de prendre soin de toi. Donc entre le moment où l’enfant rentre de l’école et où il se couche, il n’y pas d’écran. On peut dire à son enfant que même s’il n’est pas d’accord c’est comme ça que ça va se passer.

La sanction (qui est le fondement de la règle, une règle sans sanction n’a pas de valeur), si la règle n’est pas respectée : les moments d’écran autorisés durant le week-end ou les vacances seront supprimés si l’enfant ne joue pas le jeu durant la semaine.

Durant les temps d’écran autorisé, on peut négocier la forme (jamais le fond : c’est à dire qu’on ne revient pas sur la règle érigée), mais on peut proposer l’écran via la tablette, la télévision ou le téléphone.

Le cadre apporté à l’enfant par ces dimensions non négociables est sécurisant. Il peut ainsi évoluer sereinement en « négociant » la forme mais jamais le fond. Bien sûr, ces éléments non négociables sont définis une bonne fois pour toute et ne varient pas – sinon, on est contre-productif. Généralement, les petits comprennent rapidement leur intérêt et les règles du jeu. Ça apporte aussi aux parents, un socle solide et de référence et on évite les discussions à l’infini, usante et généralement peu productive qui se terminent dans l’énervement, les larmes et des solutions insatisfaisantes pour tout le monde.

 

 Lors de l’écriture de ce livre, quelle est l’information/le conseil qui vous a le plus marquée ? 

L’information qui m’a le plus impactée voire bouleversée, même si je pensais déjà le savoir, c’est l’importance qu’à le lien parent-enfant sur l’enfant. Notre responsabilité en tant qu’adulte et que parent (dans le sens de personne référente pour un enfant) est immense. C’est à travers le regard que nous portons, les paroles que nous prononçons, mais aussi ce que nous insufflons dans le lien au quotidien - les encouragements, l’exigence dont nous faisons preuve vis-à-vis d’eux, l’autonomie que nous leur laissons et la reconnaissance de leur singularité - que le petit enfant se construit, qu’il se sent aimé pour ce qu’il est foncièrement.

Toutes les dimensions de sa personnalité (physiologique, psychologique, émotionnelle, comportementale…) sont impactées dès le départ, par notre attitude, notre façon de leur parler, nos comportements, nos attentes et nos réactions.

 

Pris dans le rythme du quotidien, empêtrés dans les injections – notamment pour les mères – de faire toujours plus, nous risquons parfois de passer à côté de l’essentiel : nos enfants ont besoin de nous. Ils ont juste besoin qu’on soit pleinement là, dans les échanges, les moments, véritablement « engagés » et sincèrement nous-mêmes dans nos qualités et nos défauts.

 

C’est toute cette implication, cette considération et finalement cet amour dans les moments du quotidien que nous leur portons qui sont déterminants dans leur développement, dans la confiance qu’ils auront en eux, en les autres et en le reste du monde.

Notre responsabilité est immense et nous le leur devons.

 

Quels conseils donneriez-vous à des parents qui semblent dépassés par les dons de négociation de leurs enfants ? Quel conseil pour des parents de nourrissons qui n’en sont pas encore à négocier ?

Je leur dirais déjà que c’est une grande mission d’élever des enfants, qu’ils font de leur mieux et que c’est très important. Nous nous découvrons parent au fil du temps avec nos enfants, grâce à eux, il n’y a pas de mode d’emploi. Je partagerais ensuite 3 choses que j’ai appris en tant que mère et que je partage souvent avec des amies.

Pour ceux qui ont des enfants qui négocient tout le temps tout :

Avant tout, s’arrêter un instant dans ce rythme fou qui nous donne le sentiment de tout subir et de ne plus rien contrôler. On se pose et on fait l’exercice du négociable et du non négociable : pour soi-même, avec son conjoint et pour ses enfants.

Bien souvent, on a le sentiment d’être dépassé lorsque nous sommes en conflit interne entre des aspects sur lesquels nous ne voulons pas transiger qui sont mal ou pas identifiés, et donc pas intégrés et verbalisésn et des comportements. Une fois que l’on déterminé ce qui est important pour nous, pour notre couple et pour nos enfants. On concrétise : à partir de maintenant, voilà comment les choses vont se passer, et on ne reviendra plus dessus.

Ensuite, on réaffirme à nos enfants qu’ils sont considérés, écoutés, entendus et aimés. Si une personne s’assoit en face de vous, vous regarde véritablement et vous dit « vas-y, parle-moi, je t’écoute, ce que tu as à dire est important et m’intéresse. », le sentiment d’être reconnu et valorisé se renforce. Les émotions délétères sont canalisées par la parole. En créant pour notre petit cet espace pour dire, pour partager, pour évacuer, on est en mesure de faire baisser considérablement les velléités d’agitation pour exister, pour être remarqué et entendu qui peuvent se traduire par de l’opposition, de l’insolence et d’autres comportements qui abiment la relation. On crée un climat favorable pour faire passer des messages importants qui vont créer un ancrage pour le quotidien lorsque les émotions et la fatigue seront plus vives.

Cette phase-là se dit avec des mots, dans un moment dédié (au moment du bain, du coucher par exemple). Pour les enfants, plus grands, on peut aussi écrire des petits mots qui leurs sont destinées, des sortes de petits totems.

Enfin, et ce « conseil » là est également pour les parents des tout-petits (nouveau-nés) : il s’agit de considérer notre petit comme un individu à part entière, comme nous le ferions pour une autre personne pour bâtir un lien solide, sincère et authentique où chacun est à sa place : nous en tant que parent et lui en tant qu’enfant.

 

Cela paraît évident, mais regardez autour de vous, comment les adultes s’adressent aux enfants bien souvent sur le ton des injections et des reproches. Souvent, je prends l’exemple suivant : si une de vos amies renverse un verre lors d’un apéritif ou d’un repas, vous n’allez pas lui dire qu’elle est nulle, ou qu’elle pourrait faire attention ou encore lui hurler dessus ? Souvent, pris dans les injonctions de parents, nous avons des réactions vives parfois disproportionnée, oubliant que nos comportements et nos mots marquent plus que n’importe qui ces petits êtres qui nous accordent un crédit très important.

C’est pareil avec les tout-petits : un bébé ne pleure jamais pour « embêter » ses parents. Ça paraît une évidence, mais je trouve toujours bon de le redire. Les premiers temps de vie d’un enfant sont une phase extraordinaire de la vie où tous nos repères sont chamboulés. Sous l’effet de la fatigue et du changement, nous pouvons perdre de vue que nous sommes tout pour ce petit être dépendant et que le lien que nous nourrissons avec lui est une colonne vertébrale pour lui. La nature du lien avec un nourrisson est différente mais elle est bâtie sur les mêmes ressorts : l’empathie, l’écoute, la considération.

Le tout petit bébé communique dès les premiers jours de vie avec son mode d’expression à lui.

Nous avons les ressources pour interagir : le regarder, lui parler pour lui dire où nous en sommes (fatigué, dépassé, fier, épris d’amour…) comme avec une autre personne. Nous pouvons lui expliquer ce qui se passe par la parole, par des mots, le tenir, le cajoler… Tout cela permet de poser les bases de la relation «je suis là pour toi, je ne suis pas parfaite mais je ferais toujours de mon mieux et tu pourras compter sur moi »… Nos enfants font de nous des parents : ils sont patients, indulgents et exigeants. Petits, mais costauds, ils sont capables de traverser avec nous cette aventure de la parentalité, de nous entrainer aux confins de nous-mêmes, de nous révéler à nous-mêmes de partir à la conquête de cette relation unique et de ce lien organique puissant.

 

 

 

* Retrouvez Petits mais costaud, le livre de Julie

 

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