Naître Parents

L’arrivée d’un enfant est bien évidemment la venue au monde d’un nouvel individu, mais c’est également une modification psychique qui conduit les parents vers une transformation de leur identité personnelle, de leur couple et de leur place dans les générations.

Comment se construit le sentiment d'être parent ?

Les parents doivent naître psychologiquement, tout autant que leur bébé naît physiquement. Progressivement, ils mettent au monde dans leur esprit une nouvelle identité : le sentiment d’être parents. 

A l’annonce d’une grossesse et après l’accouchement, les parents se trouvent devant une nouvelle étape de leur vie aussi émouvante que bouleversante. En psychologie, on l’appelle une « crise maturative », pour souligner l’intensité du changement identitaire et d’évolution psychique condensées dans cette étape de vie.

Toutefois, la naissance du sentiment d’être parent n’advient pas à un moment précis, mais apparaît progressivement comme un processus en continu, à travers aussi le travail psychique cumulé tout au long de la grossesse et ensuite dans la relation avec l’enfant. 

Comme du temps est nécessaire au bébé pour se former et naître, les parents ont aussi besoin de temps pour développer leur nouvelle identité. 

Devenir parent est un voyage qui se réalise au cours du temps et en plusieurs étapes. 

Comment on se prépare à devenir parents ? 

Le réaménagement psychique pendant la grossesse et après la naissance permet aux parents de se préparer à rencontrer le bébé et à s’ajuster progressivement à lui. 

S’il est vrai que la lecture permet de se familiariser avec les différents sujets concernant la naissance et l’arrivée du bébé, la préparation psychique qui amène vers la naissance de l’identité parentale se joue à un niveau plus profond. C’est un travail qui se réalise progressivement dans l’esprit du futur père et de la future mère, qui touche ses souvenirs, ses fantasmes, ses identifications et ses rêveries.

Les changements corporels liés à la grossesse favorisent la mise en place de ce travail de réaménagement psychique chez la mère. Les transformations corporelles conduisent vers une prise de conscience progressive de la transformation. Sur le plan psychique, la mère commence à s’intéresser à ses modifications corporelles, les sensations proprioceptives annoncent qu’un changement est en cours. La présence d’un autre corps dans le sien lui permet de retrouver inconsciemment une expérience très lointaine : celle où elle aussi faisait un seul corps avec sa propre mère.

Progressivement, avec le développement du foetus et ses mouvements, des nouvelles sensations feront prendre conscience à la femme de la réalité du corps du bébé en elle. Un mouvement de « régression psychique » se réalise. 

Le père aussi a accès à ce mouvement de régression et de perception du changement à travers l’identification avec sa femme. Parfois cela peut être un processus un peu plus lent, mais il peut arriver que l’homme s’identifie aux changements corporels de sa femme. On connaît le « Syndrome de la couvade paternelle », qui se présente sous forme de symptômes psychosomatiques similaires à celles de la femme enceinte (maux de tête, nausée, prise de poids, marche en pieds de canard…). 

Qu’est-ce que c’est la « régression psychique» pendant la grossesse ? 

On pense que les changements corporels liés à la grossesse agissent comme une sorte de catalyseur psychique, comme un aimant qui ramène la femme mais aussi l’homme, par identification, à des vécus anciens. Cette régression favorise la prise de contact avec le Moi bébé caché au fond de chaque future mère et futur père. 

Cette régression permet de revenir en arrière dans son psychisme et d’être plus proche de son vécu enfantin. Il arrive alors que les parents évoquent, avec beaucoup plus de facilité qu’à d’autres moments de leur vie, leurs souvenirs d’enfance.

Monique Bydlowski, psychanalyste, a parlé de « Transparence Psychique » pour décrire ce processus en oeuvre pendant la grossesse caractérisé par un soulèvement du refoulement, une réactivation du passé et un accès plus facile à des réminiscences anciennes. Ce mouvement permet aux futurs parents de se remettre en contact avec leurs propres besoins d’enfant et de se préparer à s’identifier aux besoins du nouveau-né. Cette préparation se réalise non seulement à travers un mouvement de retour en arrière, mais aussi à travers les rêveries. 

Le futur parent, déjà pendant la grossesse et souvent dès le désir d’enfant, commence à rêver. Il imagine quel type parent il voudrait être, comment ce sera de prendre son bébé dans ses bras, il s’imagine d’aller au parc avec son petit, comment il réagira face à ses caprices, à ses questions, à ce qu’il veut transmettre à son enfant… En même temps que la mère ou le père rêvent au type de parent qu’ils voudront être, ils imaginent aussi comment sera leur bébé. Les parents construisent mentalement le bébé de leurs rêves et de leurs cauchemars. 

Cette régression qui s’accompagne donc à la rêverie, c’est une sorte d’étape qui permet de reculer pour mieux sauter. 

Quelle est la fonction des rêveries des parents avant la naissance du bébé ? 

Le bébé imaginaire naît dans l’esprit des parents et condense leurs désirs, leurs espoirs mais aussi leurs peurs. Durant la grossesse, ils imaginent comment sera leur bébé : calme, agité, doux, tonique, avec un fort caractère, un rêveur. Ils pensent aussi à quand leur enfant sera plus grand, à quand il sera à l’école, à quand il sera adulte.

Ces rêveries sont un moyen créatif qui permet de se préparer à la nouvelle situation et aident aussi à faire face aux inquiétudes normales vécues par les parents, qui accompagnent chaque changement.

Durant un groupe de parole que j’anime auprès de futurs parents, des femmes se posent différents questions : « Est-ce que je serai capable de gérer les réveils nocturnes de mon bébé ? » ou «Comment vais-je le prendre pour le changer ou pour lui donner à manger ? Ils semblent tellement minuscules… on a l’impression de les casser. » Une autre se confie : « J’ai un peu honte à l’avouer, je devrais être heureuse, mais j’ai tellement peur que ma vie change complètement, que je ne pourrai plus maintenir mes relations sociales, mes amitiés, que je vais rester isolée avec mon bébé… ».

Toutes ces inquiétudes accompagnent souvent les futures mères et les futurs pères, font parties du processus de changement et de préparation à la nouvelle situation. Les rêveries arrivent à compenser ces inquiétudes et à se représenter l’avenir, qui est pour le moment inconnu. Une ouverture psychique vers le futur se réalise petit à petit, en même temps que le sentiment d’être parents s’amorce. 

La dernière étape du processus de devenir parent est donc la naissance du bébé ? 

Après l’accouchement le bébé réel rencontre le bébé imaginaire. Le sentiment d’être parents est loin d’être complètement achevé. Le bébé et les relations progressives avec lui, contribuent à la prise de conscience et à la définition de cette nouvelle identité, de ce nouveau rôle, pour les parents.

L’arrivée du bébé réel en chair et os demande aux parents un processus d’adaptation progressive. Il faut du temps pour réaliser que le bébé est là et qu’on est devenu parents. « Je ne réalise pas encore ! Je le regarde posé sur ma poitrine et je ne sais pas si c’est vraiment à moi » raconte une mère, sur son lit à la maternité, quelques heures après l’accouchement.

Un sentiment d’étrangeté peut parfois envahir les parents, complément bouleversés par l’intensité émotionnelle de l’accouchement. Ils peuvent même vivre un sentiment de rejet : « Je l’ai vu et j’ai pensé qu’il était moche ! Il ne me ressemblait pas… je ne savais pas si c’est vraiment mon bébé », avoue une mère. Ces sentiments peuvent être tout à fait normaux et transitoires, en lien avec les vécus du moment. Le bébé est passé de l’intérieur à l’extérieur. Tout en étant familier pour sa mère qui l’a porté dans son ventre pendant neuf mois, il est aussi complètement inconnu car c’est la première fois qu’elle le rencontre.

L’attachement au bébé est aussi un processus qui se développe petit à petit entre le bébé et ses parents. « Cette chose qu’on dit souvent : Dès le premier moment que je l’ai vu je l’ai aimé de tout mon coeur !!, moi je ne l’ai pas ressenti. J’avais l’impression qu’on venait juste de se rencontrer et, comme pour toute nouvelle personne, il m’a fallu un peu de temps pour m’attacher à elle » dit une autre maman du groupe. Progressivement les parents, à travers les soins qu’ils vont prodiguer à leur bébé, les échanges avec lui, la proximité physique, tissent le lien qui les attache au nouveau-né. 

Petit à petit, le bébé s’inscrit aussi dans la filiation des parents et l’attachement se consolide. Le jeu des ressemblances aide à ce processus et fonctionne comme un miroir dans lequel l’homme et la femme commencent à se reconnaître en tant que parents. « Hou là là qu’il vous ressemble ! Il a sûrement pris la forme du nez de son père et la couleur des yeux de sa mère ! ». 

Comment se passe la rencontre entre le bébé réel et le bébé imaginaire ? 

Le bébé réel peut être très diffèrent du bébé imaginé. Le bébé réel est un petit être dépendant, qui réclame tout le temps, dont il faut s’occuper constamment. Les parents peuvent alors vivre des moments très compliqués. Ils doivent acquérir, souvent en tâtonnant, l’expérience et la compétence pour s’ajuster à leur bébé. Ils doivent prendre le temps pour faire connaissance avec lui, pour apprendre ses manières de communiquer et comment répondre à ses besoins.

S’occuper d’un bébé demande aussi que les parents renoncent à l’image idéale qu’ils s’étaient faite d’eux-mêmes. Ils doivent tolérer de ne pas toujours tout comprendre, d’essayer sans vraiment savoir, de se sentir parfois épuisés et anxieux à côté de moments de pur bonheur. 

Hésiter et ne pas se sentir capable est au début un vécu récurrent qui s’estompe assez rapidement après les premiers jours. Si la situation est favorable, la mère et le père, pourront se dégager de leur anxiété. Cela va leur permettre de mieux reconnaître les signes du bébé, de mieux les interpréter et de mieux y répondre. Ils vont aussi commencer à prendre du plaisir à s’occuper de leur bébé et à échanger avec lui. Bien sûr le sentiment d’incertitude peut être encore là et aussi les doutes, les ambivalences et les conflits internes. 

Tout au long de ce processus un ensemble de remaniements psychiques s’est mis en place et progressivement le nouveau parent définit sa nouvelle identité, ce nouveau sentiment. 

Devenir parents et naître psychologiquement parents est sûrement un processus long, qui ne s’achève pas après l’accouchement. Il faudra très probablement du temps pour que cette nouvelle identité trouve sa place dans l’ensemble de la vie du père et de la mère.

C’est un processus qui ne se termine vraiment jamais. Il connaîtra des multiples transformations à mesure que les enfants grandiront, quitteront la maison et auront eux-mêmes des enfants. Neuf mois et plus pour se préparer… entre crise affective et processus psychique, devenir parent est un long et beau voyage. 

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